Natalia

Nom de famille caché pour des raisons de sécurité
100x100 cm
Tirage numérique d’archives sur papier

Andrejs Strokins

Riga, Lettonie
2024



Transcription sous le portrait




Transcription audio

Nous n’avions pas de relation particulière avec Dieu. Nous voulions simplement survivre.
Nous tous.
Même ceux qui n’y sont pas parvenus rêvaient d’échapper à l’enfer de Marioupol.
Ceux déchirés par les explosions, brûlés dans les incendies, morts de maladie, de faim ou de blessures, asphyxiés sous les dalles de béton, eux aussi voulaient vivre.
Mais d’une manière ou d’une autre, nous avons survécu. Et nous n’avons pas de grands projets pour l’avenir. Nous ne sommes pas des élus.
Nous ne sommes pas les personnes les plus brillantes ou les plus importantes sur Terre.
Nous avons survécu par hasard. Contre l’âge, la santé et la logique. Pas parce que nous étions les plus gentils ou les plus courageux. Pas parce que nous étions les plus beaux ou les plus intelligents.
C’est juste arrivé. Par hasard, nous avons échappé à la mort. Elle nous visait, s’approchait, mais nous continuions d’avancer.
Nous courions d’une cour à l’autre, changions de sous-sol, prenions des routes différentes, et nous cachions dans
les cages d’escalier d’inconnus… Nous risquions nos vies sous les tirs pour passer un appel, entendre la voix d’un proche, même si la chance était mince. La mort nous traquait et nous traquions un signal.
Les étoiles se sont alignées ainsi. Nous avons expiré et continué à vivre. Et moi, même maintenant, je ne comprends pas pourquoi ?

Parfois, j’oublie que je ne suis pas chez moi et j’attends mon arrêt.
Je prends un bus letton et j’imagine l’avenue Metallurgiv dans ma ville.
Je rêve de Marioupol.
À la place des vieilles maisons en briques rouges, je vois notre café, l’hôpital pour enfants, l’allée bordée de peupliers, des gens cherchant de l’ombre sous les dômes verts des arbres.
C’est le splendide été de Marioupol.
Je ne regarde pas par la fenêtre du bus letton. Je ne veux pas voir le présent.
Je rêve de m’accrocher au passé.
Nous sommes ceux qui, jamais, en aucune circonstance, n’auraient quitté leur pays—si seulement il n’avait pas été attaqué.
Nous avons été chassés de nos villes. Nous n’avons pas eu le choix. Nos droits et nos désirs ont été ignorés. Nous avons été jetés hors de nos maisons. Nos vies ont été brisées.
Je veux que tout le monde sache :
Nous voulons vivre chez nous.
Nous ne sommes pas venus pour une vie meilleure,
pas par choix,
pas pour le confort.
Nous fuyons la tristesse et la douleur.
Et nous ne pouvons pas aller bien quand notre pays souffre.
Quand nos villes sont en peine.
Nous aimions chaque pierre, connaissions chaque tournant, chaque croisement.
Parce que rien ne pourra jamais être mieux que mon pays, ma ville, ma vraie vie.





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